Buy European Act : good idea, bad idea ?

Publié le par Pierre-Yves

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« La France demandera que l’Europe se dote d’un « Buy European Act » sur le modèle du Buy American Act. Ainsi, bénéficieront de l’argent public européen les entreprises qui produiront en Europe. » C'est en ces termes que Nicolas Sarkozy, lors de son discours à Villepinte le 11 mars dernier, a annoncé une proposition de soutien aux entreprises européennes. Cette mesure importée des États-Unis trouve une place de choix dans les politiques de soutien à l'économie nationale. Mais, dans un contexte de crise et de concurrence accrue, elle soulève d'autres questions qui peuvent poser problème.

 

Buy American Act et Small Business Act :

 

Le Buy American Act (BAA), entré en vigueur en 1933 dans le cadre de la politique de New Deal de Franklin D. Roosevelt, impose au gouvernement fédéral l'achat de biens manufacturés produits aux États-Unis. En vertu de cette loi, toutes les marchandises destinées à l'usage public (articles, matériaux ou fournitures) doivent être produites aux États Unis, et toutes les marchandises manufacturées doivent être fabriquées aux États Unis, à partir de produits américains.

Certaines conditions doivent être cependant respectées : le prix du produit doit être supérieur à 2500 dollars et le coût des éléments nationaux d'un bien ouvré doit excéder 50% de l'ensemble des coûts. De plus, ce bien doit être produit aux États-Unis. Par ailleurs, la loi ne concerne que les biens et non les services. De la Grande Dépression à aujourd'hui, ce dispositif permettait de soutenir l'économie et la production nationale et certains États et Municipalités l'ont adoptés.

En 1982, le BAA est rejoint par une autre loi, spécifique au domaine du transport : le Buy America Act. Il s'applique aux achats du domaine du transport (autoroute, transports en commun...) évalués à plus de 100 000 dollars. Les dispositions Buy Americasont une condition des subventions accordées par le gouvernement des États-Unis à des organismes d'État, à des organismes municipaux ou à d'autres organismes, comme les commissions de transport .

 

Le Small Business Act est une autre mesure de soutien des pouvoirs publics à l'économie nationale. Créée en 1953, elle oblige à réserver une partie des marchés publics aux Petites et Moyennes Entreprises (PME). Il faut dire que la petite entreprise est au cœur du rêve américain et du mythe du « self made man ». L'entreprise de petite dimension incarne les valeurs de la conception américaine de l'économie : liberté d'entreprise, libre concurrence...

Dans la section 202 du Small Business Act, le Congrès déclare que « le Gouvernement doit aider, conseiller et protéger, dans toute la mesure du possible, les intérêts de la petite entreprise, afin de préserver l'esprit de libre concurrence, d'assurer qu'une proportion équitable des marchés publics soit passée avec de petites entreprises, et de maintenir, en la renforçant, l'économie de la Nation dans son ensemble. » Ainsi, 23% des marchés publics américains sont réservés aux PME américaines.

 

 

Une proposition économiquement intéressante et politiquement partagée...

 

La proposition d'importer ces modèles sur le Vieux Continent semble aller dans le bon sens. Nicolas Sarkozy souhaite, avec cette réforme, que les entreprises européennes soient les premières à bénéficier de l'argent public européen. Octroyer les marchés publics aux entreprises européennes pourrait permettre de leur réserver une partie de la demande et donc de soutenir leur activité et favoriser l'emploi. Les mesures seraient aussi un moyen de défendre l'économie européenne contre les entreprises étrangères, notamment d'origine asiatique. Le président français veut ainsi atteindre rapidement, après l'adoption de la loi, une part de marchés publics réservée aux PME de 20%. Il va même plus loin en déclarant que, si des progrès ne sont pas faits, dans les douze mois, sur ce point au niveau européen, la France appliquerait ces mesures unilatéralement.

Un autre élément qui plaide en faveur de ce dispositif est le fait qu'il est appliqué dans d'autres pays, au premier rang desquels les États-Unis, la Chine, l'Inde, la Russie ou le Japon. « Je pose solennellement la question, pourquoi ce que les États-Unis, pays le plus libéral du monde, s’autorisent, l’Europe se l’interdirait ? » estime le chef de l'Etat. L'application de telles lois apparaît incontournable pour défendre son économie d'une concurrence acharnée.

 

Un Buy European Act est une revendication ancienne et partagée par beaucoup de bords politiques. Elisabeth Guigou (PS) en 1993, alors chargée des affaires européennes, avait déjà défendu l'idée d'une « contre-offensive européenne » en réponse du BAA. Ségolène Royal en avait fait une idée forte de son programme en 2007, Bayrou parlait à l'époque de « Small Business Act à la française ». Plusieurs branches de l'industrie, notamment l'armement, et des chambres de commerce, sont en demande de ce dispositif depuis plusieurs années.

 

 

...mais pas si simple à appliquer :

 

Si la proposition semble à première vue louable, l'importation des modèles américains en Europe rencontrera certaines difficultés.

 

Le premier problème soulevé par la mesure est d'ordre budgétaire. Il est probable que le fait de recourir aux entreprises européennes augmente le coût des produits achetés et des investissements des administrations publiques, les entreprises étrangères proposant en général des prix plus compétitifs.

Il peut s'agir de sommes considérables : la construction d'un pont entre San Francisco et Oakland avait coûté 400 millions de dollars en plus ! Et, en période de rigueur budgétaire, où le mot d'ordre est la maîtrise des dépenses publiques, il n'est pas sûr que le renchérissement des projets publics soit le bienvenu. Le BAA prévoit que si le prix du bien ou de l'investissement excède de 25% le prix de l'offre étrangère, l'administration peut ouvrir normalement et plus largement le marché. Mais est-ce qu'un tel seuil sera pertinent en Europe ?

 

On peut aussi s'interroger sur les PME. Cette mesure de soutien pourrait se révéler contraignante pour certains pays comme l'Allemagne, dont les PME sont bien implantées à l'export et n'ont pas tant besoin de soutien que cela. Le dispositif serait alors plus contraignant pour les administrations publiques allemandes que pour d'autres pays. Par ailleurs, est-ce qu'une PME française située dans la Lozère sera capable de répondre à un appel d'offre du secteur public néerlandais ? Concernant le Small Business Act, il n'est donc pas sûr que toutes les PME soient armées de la même façon.

 

L'origine des produits peut aussi poser problème. Certaines entreprises sont très internationalisées et ont recours à de nombreux sous-traitants. Est-ce que les autorités vont pouvoir clairement identifier la provenance des produits ou des marchandises qui entrent dans leur fabrication ? Il va falloir une réflexion de fond sur les moyens à donner à ce contrôle, qui peut nécessiter la création d'une nouvelle administration spécifique.

En plus du renchérissement des projets, le contrôle que vont induire ces lois va donc être synonyme de dépenses en plus.

Dans quelles mesures les gains permis par ces lois (notamment le surcroît de ressources fiscales induit par le surplus d'activité pour les entreprises) seront-ils supérieurs aux coûts induits par le contrôle et le recours aux entreprises locales ?

 

Il faut sortir d'Europe pour bien comprendre d'autres enjeux. Comment va être reçue l'annonce de la décision de se doter de ces mécanismes dans les autres pays ? Certains craignent des représailles économiques, notamment de la part de la Chine.

Shahin Vallee, chercheur à l'institut Buregel (think tank basé à Bruxelles, créé en 2005, et traitant des questions de politiques économiques et monétaires) estime que le conflit actuel entre la Chine et l'Union européenne, sur la taxe carbone européenne, peut être un exemple de représailles à venir. Pékin vient en effet de geler une commande de 45 Airbus à cause de la taxe carbone, selon le fabricant EADS.

Les pays étrangers pourraient donc avoir d'autres leviers de ripostes. Alexandre Delaigue, chroniqueur économique de Libération, rappelle qu'aux Etats-Unis, le BAA, lors de son instauration, avait aussi conduit de nombreux pays à riposter par des barrières protectionnistes qui avaient fait plonger les exportations américaines.

 

Enfin, ce dispositif devra prendre place dans une Europe économique qui manque d'harmonisation dans beaucoup de domaines : fiscalité, finances, exportations... Sera-t-elle capable de s'accorder sur la mise en œuvre de cette mesure ?

 

 

La proposition est partagée, les questions qu'elle soulève rendront plus difficile son application. Il faudra que cette mesure trouve sa place au milieu des traités déjà existants sur une concurrence loyale entre États (notamment au niveau de l'OMC), et qu'elle soit efficace. Bien appliquée, cette mesures peut être une bonne chose. Reste à savoir si la proposition du Chef de l'État va plus loin qu'une simple annonce politique et fera consensus chez nos voisins européens.

 

 

Sources : AFP, Le Monde, Le Point, Libération, Le Figaro, Les Échos, site du gouvernement canadien, site de l'OCDE.

Publié dans Politique

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